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1822 - Explosion de la Poudrière au Logelbach


Logelbach : explosion de la poudrière le 26 juillet 1822 - Die Explosion der Pulvermühle.

La construction de la poudrière du Logelbach date de l'époque de la réunion de l'Alsace à la France. Elle contenait deux moulins, dans lesquels on pouvait battre 800 kilogrammes de poudre par jour, lorsque les eaux [du Logelbach] étaient bonnes [pour faire tourner les moulins]. On y confectionnait trois espèces de poudre.
Le 26 juillet 1822, après six heures et demie du matin, et tandis qu'une partie des habitants de Colmar était encore endormie, deux secousses consécutives jetèrent l'épouvante dans la ville. Les maisons furent ébranlées, plusieurs au point de menacer ruine. A l'instant, tout le monde, bien portants et malades, vieillards et enfants, se jetèrent hors du lit ; les rues se remplirent de gens consternés qui cherchaient à sauver leur vie.
On courait en tous sens, se demandant réciproquement ce qui était donc arrivé ?...

Logelbach

Gravure parue dans "Der Wanderer im Elsass" (Le Touriste en Alsace) N° 19 - 28 juillet 1888 (collection Guy Frank)

La poudrière a sauté, les bâtiments environnants sont en feu, beaucoup de personnes ont été mises en pièces, et leurs corps mutilés, lancés dans les champs, d'autres sont enterrés sous les décombres, un plus grand nombre encore est blessé ; tels étaient les bruits alarmants qui se répandirent en un instant, comme un torrent, et qui, passant de bouche en bouche, remplirent toutes les âmes de terreur.
En tous temps, les bons habitants de Colmar se distinguèrent dans les circonstances malheureuses par leur courage, leur dévouement et leur amour du prochain. Ils agirent de même à cette occasion et se précipitèrent en foule vers la poudrière.
Les pompiers à l'envi des autres citoyens, animés de leur zèle et de leur dévouement accoutumés, coururent avec les pompes vers le lieu du désastre, avec la ferme et unanime résolution de tout faire pour arrêter les ravages du feu et sauver les malheureux qui étaient enterrés sous les décombres.

Le surplus des habitants qui jusqu'alors n'avait été que vaguement instruit de ce triste évènement, resta pendant ce temps dans la ville, où les autorités prirent toutes les mesures de précaution que les circonstances commandaient. Plusieurs gardes, entre autres celle de la prison, où se trouvaient les détenus compromis dans l'affaire de la conspiration de Belfort, furent considérablement renforcées, et des patrouilles parcouraient les rues.

Tout-à-coup se répandit un nouveau bruit, encore plus alarmant que les précédents. Le grand magasin était en feu, et comme on ne pouvait en approcher pour l'éteindre, il allait sauter d'un moment à l'autre !... Le cri : sauve qui peut ! se fit entendre dans les rues. Une terreur panique saisit les hommes, les femmes et les enfants rassemblés devant leurs maisons ; le trouble, la consternation étaient peints sur tous les visages. Le prochain écroulement des maisons, la mort la plus cruelle de leurs habitants semblaient inévitables. Les pères et les mères cherchaient en pleurant leurs enfants répandus dans le voisinage, pour au moins périr avec et près d'eux. Des femmes couraient désespérées vers le chemin de la poudrière, où leurs maris, animés du désir de porter secours à leurs semblables, s'étaient noblement élancés. A leur tour, elles voulaient les arracher au danger ou périr avec eux. D'autres abandonnant leur avoir et ne songeant qu'à se sauver avec les leurs, emmenaient avec eux, femmes, enfants et domestiques, se dirigeaient en hâte par le plus court chemin vers les portes de la ville, et cherchaient leur salut dans la campagne.

Les habitants passèrent une grande demi-heure dans cette mortelle terreur, lorsqu'enfin on reçut la consolante nouvelle que le grand magasin avait déjà sauté lors de la seconde explosion, et que par conséquent, il n'y avait pas de nouveau danger à craindre. La cruelle perplexité dans laquelle on s'était trouvé cessa enfin.

Le reste de cette déplorable journée fut employé à éteindre le feu et à retirer de dessous les décombres les malheureuses victimes qui y étaient ensevelies. Le lendemain, on apprit les détails suivants sur ce malheureux évènement.

MM. Cramer, substitut du procureur général, Pouguet, substitut du procureur du roi, de Bellegarde, inspecteur des douanes, Hitschler, lieutenant de la compagnie des pompiers, et Wimpffen, voyer de la ville, étaient accourus les premiers sur les lieux du sinistre. Ils avaient été suivis des habitants et d'une partie du militaire, auxquels était dû le salut de tout ce qui avait pu être sauvé.

Le feu avait pris d'abord à la raffinerie, et ce bâtiment fut conséquemment le premier qui sauta avec tous les ouvriers qui y étaient occupés ; une demi-minute après, le grand magasin sauta, et presque au même instant, le moulin ; tous les autres bâtiments appartenant à cet établissement s'écroulèrent ou furent atteints par le feu ; la maison d'habitation de M. Pélissier, commissaire royal à la poudrière, était en feu et la toiture écroulée ; onze ouvriers avaient péri. Les matériaux, tels que pierres, bois, fer, etc., avaient été lancés, ainsi que les corps mutilés, à une grande distance et dans toutes les directions ; plusieurs personnes étaient plus ou moins grièvement blessées.

Outre les pertes matérielles, Monsieur et Madame Pélissier furent cruellement frappés dans leurs affections. Deux de leurs filles furent blessées ; l'une assez grièvement pour qu'il fallût, le jour même, procéder à l'amputation d'un bras ; la troisième, l'aînée, jeune personne de 18 ans ne se retrouvait pas. Voilà où en étaient les choses quand arrivèrent les premiers secours.

Grâce au zèle actif et aux mesures bien calculées, le feu, qui menaçait de porter ses ravages au loin, fut arrêté, et les bâtiments voisins qui avaient déjà considérablement souffert par les secousses, principalement ceux de l'établissement de MM. Haussmann, situés à l'ouest, furent garantis ; leurs pertes matérielles furent estimées à au moins 50 mille francs.

Pendant qu'on s'occupait de ces sages mesures et de leur exécution, le bruit se répandit que quelques membres de la famille de M. le directeur se trouvaient sous une toiture en feu déjà écroulée ; aussitôt plusieurs personnes montèrent sur les débris embrasés, et travaillèrent de toutes leurs forces pour sauver ceux qui se trouvaient dans un si terrible danger. Dans ce moment même, on cria qu'une partie du grand magasin n'avait pas encore sauté et que le feu l'avait déjà atteint. Rien ne put détourner ces braves de leur noble projet ; entourés et menacés de tous les dangers possibles, ces hommes intrépides travaillèrent sans relâche au milieu des flammes, et par leurs efforts et leur persévérance, ils réussirent enfin à retirer la malheureuse demoiselle Pélissier de dessous les décombres, mais hélas, ils avaient été son tombeau !

Le portier de la poudrière, ainsi que sa femme, qui se trouvaient au moment de l'explosion, le premier à l'écurie des chevaux, l'autre à l'étable des vaches, avaient réussi à chercher comme plusieurs autres, parmi lesquels des soldats de la garde, un refuge dans l'eau, sans avoir eu le temps de penser à sauver leurs enfants gémissant dans leur demeure ; ces malheureux, privés de leurs sens, s'étaient précipités dans la rivière qui traverse l'établissement de la poudrière, et attendaient là, dans les plus affreuses angoisses, leur sort et et celui de leurs enfants.

Enfin, un peu rassurés par l'arrivée successive des personnes qui accouraient au secours, ces infortunés fuyards, hors d'eux-mêmes de frayeur et d'angoisses, se hasardèrent à quitter la rivière et à se rapprocher de l'épouvantable lieu de l'incendie. La crainte dans le cœur et d'un pas chancelant, ils se hâtèrent d'arriver aux débris de leur demeure ; elle était écroulée, et les enfants, trop jeunes encore pour se soustraire au danger, s'étaient enfoncés avec les débris du plancher. Déjà on commençait à croire que ces débris étaient devenus leur tombeau, lorsque le père, désolé, cherchant, visitant de tous côtés, aperçut tout à coup un enfoncement qui, formé par des décombres, montra une ouverture donnant dans la cave. Ranimé par ce nouvel espoir, on profita sur le champ de l'avantage que cette découverte présentait pour faire de nouvelles recherches ; l'ouverture fut élargie, et l'on entendit distinctement l'aîné des enfants appeler son père. Celui-ci descendit en tremblant ; mais oh ciel ! quel bonheur ! quelle joie ! il vit ses deux enfants sains et saufs dans un coin de la cave, l'aîné assis, l'autre encore couché dans son berceau. Le Dieu tout-puissant, protecteur de l'innocence, les avait sauvés comme par miracle. Le plancher avec lequel ils s'étaient affaissés, avait formé sur eux, en tombant, une espèce de tente de manière que les décombres n'avaient pu les atteindre, ni les blesser. Ces enfants, si heureusement retrouvés, tendirent leurs faibles bras à leur père, dont ils sentaient la privation ; celui-ci les prit dans les siens, les emporta de la caverne merveilleuse et les mit sur le sein de la mère, impatiente de les presser sur son cœur.

Dès que l'on fut convaincu qu'il n'y avait plus d'êtres humains ensevelis sous les ruines, on s'occupa sans relâche d'éteindre l'incendie et de rechercher les effets et papiers enterrés sous les décombres. Le directeur tenait principalement à la conservation de ces derniers. Plusieurs de ces papiers, ainsi que deux sacs d'argent, une chaîne en or et une agrafe en diamants, furent retrouvés le jour même et remis fidèlement au directeur. L'humanité, le courage et la probité distinguèrent dans ces recherches la plupart des personnes qui étaient accourues ; quelques-unes seulement, le rebut du genre humain, essayèrent de faire un infâme butin ; elles furent surprises, traitées avec horreur et chassées ignominieusement.

Pendant ces travaux, la nuit arriva peu à peu et avec elle la certitude, qu'au moyen des mesures déjà prises, il n'y avait plus de nouveaux dangers à craindre pour les bâtiments environnants, ni pour la ville.

Le lendemain et plusieurs jours après, on continua d'éteindre le foyer et de faire la recherche des objets ensevelis sous les ruines ; et lorsqu'on alla visiter le lieu du désastre, on se crut transporté du sein de la paix, sur un champ de bataille ; cet aspect faisait frémir et on se hâtait de regagner sa demeure.

On assure que 35.000 kilogrammes de poudre avaient sauté.

Le directeur dit dans son procès-verbal, que l'état dans lequel l'atmosphère se trouvait au moment de l'évènement permettait de croire, qu'une étincelle électrique avait pu embraser la poussière de la poudre dont les murs des bâtiments étaient couverts, et avoir trouvé un conducteur jusqu'à la poudre même.

Aujourd'hui on peut encore voir dans l'un des jardins des établissements Haussmann, une pyramide en pierre, construite avec les débris des bâtiments, et portant une inscription qui rappelle ce lamentable évènement.

En 1729 déjà, le 13 août, entre 8 et 9 heures du matin, le moulin à poudre de Colmar avait fait explosion ; cinq ouvriers y avaient perdu la vie. Leurs membres furent dispersés jusque sur la route d'Ingersheim, dans les vignes et dans les champs. On les plaça dans trois  cercueils pour les enterrer.

En 1731, le moulin à poudre fit de nouveau explosion ; quatre ouvriers furent lancés dans l'air ; on retrouva leurs cadavres dans les vignes.

En 1772, le 13 avril, le pilon supérieur de l'usine à poudre fit explosion ; trois ouvriers s'y trouvaient, et l'un d'eux fut lamentablement mutilé. On put sauver la vie des autres.

Un épisode

La famille Haussmann avait l'habitude de faire conduire ses enfants, journellement en voiture, à l'école de Colmar. Le jour de l'explosion de la poudrière, le cocher qui était chargé ordinairement de ce service, contre son habitude, fut en retard, par suite du temps qu'il avait mis à bourrer sa pipe. Sans ce retard providentiel, ces enfants se seraient trouvés juste en face de la poudrière, où ils auraient inévitablement trouvé la mort. Cet épisode a été raconté par M. Adolphe Hirn, notre illustre savant, qui s'est trouvé parmi les enfants que nous venons de citer.    

Source : Der Wanderer im Elsass N° 18 du 21 juillet et N° 19 du 28 juillet 1888 (collection Guy Frank) 


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